Le cadeau de la pleine présence

Madeleine…

  • J’arrive dans le service où j’interviens chaque semaine en tant que bénévole de l’association Pierre Clément. J’accompagne ainsi des personnes malades, hospitalisées à l’USP (Unité de Soins Palliatifs de l’hôpital civil de Strasbourg), parfois dans des états de santé très dégradés, souvent en fin de vie.

Les locaux sont un peu vieillots, mais ce qui m’a interpelé, dès ma première visite, c’est l’accueil du personnel soignant. Il règne dans cette équipe une douceur, une bienveillance et une relative joie de vivre qui peuvent contraster avec les représentations que j’ai alors de ce type d’unité de soins.

Ce soir je rencontre Madeleine . Il fait sombre dans sa chambre.

«  Bonsoir, je m’appelle Jean-Pierre. Je fais partie de l’équipe de bénévoles qui viennent à la rencontre des patients du service.

– Bonsoir, je m’appelle Madeleine.

– Est-ce que vous souhaitez un peu de compagnie Madeleine ?

– Oh vous savez, c’est gentil, mais là je suis fatiguée.

– Vous préférez rester seule, vous avez besoin de repos ?

– Oui, et là, j’ai mal ! Elle me montre sa poitrine.

– Vous souffrez au niveau de votre poitrine.

– Oui, et ça me pèse de plus en plus. Vous savez, c’est difficile.

– Vous avez envie de me parler de ce qui est difficile ? »

Et là Madeleine s’ouvre progressivement à moi.

Elle évoque ses douleurs.

Son parcours de vie.

Le service qu’elle trouve formidable.

Sa difficulté devant la souffrance de ses proches.

Une certaine solitude dans l’épreuve à laquelle elle essaie de faire face.

Sa peur…, ou plutôt ses peurs.

Entre-temps je me suis assis, je suis juste là. J’écoute, la plupart du temps en silence. Laissant ainsi le temps à Madeleine de dire ce qu’elle besoin de dire, lentement, patiemment. Le temps de l’accompagnement n’est pas celui du quotidien, il est comme suspendu.

Dans les moments de silence, de respiration, j’observe mon envie de vouloir remplir ce silence, j’observe mes sensations corporelles, comment les mots de Madeleine résonnent en moi.

A un moment, elle pose à nouveau sa main sur sa poitrine et elle me dit :

«  Jean-Pierre, il y a quelque chose que je n’ai jamais dit à personne… »

Et là, elle me livre son lourd secret, ce fardeau qu’elle portait depuis des années, elle choisit de le déposer.

Au bout de quelques minutes, je sens sa respiration devenir plus profonde, je la sens se détendre, je sens mon corps se détendre, quelque chose a lâché.

Je sais que c’est le moment pour moi de partir, je me lève et me penche vers elle.

Madeleine me dit alors avec un grand sourire:

«  C’est incroyable, je n’ai plus mal à la poitrine…

Je ne sais pas trop si je suis encore ici ou si je suis déjà partie.

J’ai l’impression que vous êtres un ange !

– Oui, peut-être bien ! … Au revoir Madeleine. »

Je sors de la chambre, souriant moi aussi, profondément touché par ce que je viens de vivre, quelques larmes coulent sur mes joues.

Merci Madeleine pour ce moment d’humanité commune, ce partage de cœur à cœur.

Je me remercie d’avoir su laisser de l’espace à Madeleine et ça c’est la pratique la pleine conscience qui me l’a enseigné : faire une pause, expirer et se détendre, s’ouvrir à ce qui est présent, faire confiance… juste être là, juste cela.

Je n’ai plus jamais revu Madeleine…

Madeleine est partie, en paix, je l’espère,

…et pourtant je me sens toujours en lien avec elle.

*Pour des raisons de confidentialité, le prénom a été modifié

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